Fred avait senti son téléphone vibrer alors qu'il était en chasse. Il avait pris le temps de se nourrir et de dissimuler soigneusement le corps de sa proie avant d'extirper l'objet de la poche de son jean et de lire le sms qu'il avait reçu de la part d'Alisson, son unique amie humaine. Cette dernière l'invitait à passer la soirée chez lui, ce qui l'avait poussé à grimacer légèrement. Il ne souhaitait pas lui faire de peine en refusant sa proposition mais elle ignorait qu'il était un vampire et se comporter comme un humain ordinaire serait sans doute assez difficile pour lui. Finalement, après avoir hésité pendant une bonne heure, il avait fini par lui signaler qu'il acceptait de la voir.

Une fois de retour à Forks, il avait enfilé des vêtements propres et, après avoir mis un peu d'ordre dans ses cheveux, il avait pris la direction d'une boulangerie. Il y avait acheté des petites douceurs au chocolat pour ne pas arriver les mains vides, même s'il savait pertinemment qu'il ne pourrait pas en avaler une seule sans avoir l'impression de manger de la terre puis il s'était lancé à la recherche de la maison de son hôte. Il était un peu en avance lorsqu'il s'était immobilisé devant sa porte si bien qu'il avait pris le temps d'écouter les quelques notes de piano qui émanaient de l'intérieur avant de sonner.

L'immortel avait salué la demoiselle lorsqu'elle lui avait ouvert, s'était engagé dans son entrée quant elle l'y avait invité et une fois qu'elle avait été apte à la recevoir, il lui avait tendu sa boite de gourmandises.

- J'espère que tu aimes le chocolat.

Une odeur entêtante mais pas désagréable, même pour son nez fin, régnait sur les lieux. Sa sauvagerie naturelle reprenant le dessus, il avait jeté un rapide coup d’œil autour de lui sans oser les investir d'avantage.

- Je ne savais pas que tu te débrouillais aussi bien au piano.

La plupart des gens aimaient le chocolat mais quelques exceptions existaient malgré tout. Fred avait donc été heureux d'apprendre que son amie appréciait son cadeau.

- Non, c'est normal. Je suis content que ça te fasse plaisir.

La moindre des politesses quand on était invité chez quelqu'un, surtout pour la première fois, c'était de ne pas arriver les mains vides. Le jeune homme n'entretenait pas beaucoup de relations avec les autres mais il avait tout de même un minimum de savoir vivre... Alisson avait semblé assez gênée qu'il l'ait entendu jouer du piano. Les premières choses qu'elle avait faites en l'entendant la complimenter avait été de lui demander depuis combien de temps il l'écoutait et de lui dire que d'autres se débrouillaient bien mieux qu'elle devant un clavier ce qui l'avait fait sourire.

- Ne te dévalorise pas. Je n'ai perçu que quelques notes mais j'ai senti que tu aimais jouer.

Atteindre la perfection n'était pas intéressant. Le plus important, c'était d'apprécier ce qu'on faisait, quoi que ce soit.

L'immortel s'était légèrement raidit quand son hôte l'avait questionné au sujet de la couleur de ses yeux. Il avait si peu l'habitude de côtoyer des humains, à part pour les manger, qu'il n'avait même pas pensé à les dissimuler sous des lunettes ou des lentilles de contact. Quel idiot...

- Ah, ça...

Puisqu'il avait du réfléchir très vite, il avait sorti la première explication bidon qui lui était venue à l'esprit :

- J'ai fais un pari un peu idiot avec mon colocataire et depuis, je suis condamné à porter des lentilles colorées. Je n'en ai plus pour longtemps, mon gage stipulait que cela ne devait durer que six mois.

Il avait adressé un sourire un peu gêné à sa vis à vis avant de conclure :

- Mes yeux sont bleus en vérité et entre nous, je préfère et de loin leur couleur d'origine !

Il espérait que son mensonge suffirait à satisfaire la curiosité de la jeune fille...

Fred avait trouvé un peu étrange qu'Alisson lui demande de ne parler à personne de sa passion pour la musique mais il n'avait pas contesté son choix. Après tout, lui même cachait bien des secrets...

- Motus et bouche cousue.

De toutes façons, puisqu'ils n'avaient encore aucun amis en commun, il aurait été difficile pour lui de vendre la mèche...

L'explication qu'il lui avait donné au sujet de ses yeux n'avait semblé la satisfaire qu'à moitié mais à son grand soulagement, elle avait accepté de changer de sujet.

- Désolé si je te fais peur, ce n'est pas intentionnel. Enfin, si ça peut te rassurer, je n'ai pas l'intention de te sauter dessus pour t'assassiner sauvagement.

L'immortel espérait que sa petite pointe d'humour suffirait à détendre un peu l'atmosphère. Il ne souhaitait pas nuire à son hôte et il ferait tout son possible pour que leur soirée se passe bien, même si le fait qu'ils se retrouvent ensemble dans une pièce close revenait à mettre un tyrannosaure et chaton aveugle en contact l'un avec l'autre...

- C'est gentil mais je n'ai pas très soif pour le moment.

Il comptait bien éviter de consommer toute nourriture humaine tant qu'il lui serait possible de le faire mais il ne voulait pas que la demoiselle se prive par sa faute.

- ... Mais ne te gêne pas pour te servir. Ce n'est pas parce que je ne suis pas un gros buveur que tu dois te laisser mourir de soif !

Pas un gros buveur... si sa vis à vis avait été un vampire, elle aurait certainement éclaté de rire...

Alisson ne ferait pas le poids, c'était évident. Très peu d'humains, valides ou non, pouvaient se vanter d'avoir échappé à un vampire au cours de leur vie...

- Détrompes toi : en pente, avoir des roues plutôt que des jambes te donnerait un certain avantage !

Plaisanter permettait à Fred de se détendre et surtout, de dédramatiser la situation de la jeune femme. Cette dernière faisait preuve d'un courage exemplaire. A chaque fois qu'il la voyait, le même sourire plein d'optimisme était affiché sur son visage. Ce soir là toutefois, son moral ne semblait pas au meilleur de sa forme...

- Si ton kiné s'est permis de t'annoncer qu'il y avait du progrès, je pense qu'il est sûr de lui. Tu ne le sens peut-être pas encore, voilà tout...

Ah si seulement elle était une immortelle ! Être mordu imposait un changement de vie radical mais cela avait également de gros avantages. Toutes les imperfections, maladies et autres handicaps disparaissaient, effacés par le venin et l'ensemble des capacités se trouvait très fortement décuplé.

Le jeune homme aurait été heureux de lui annoncer qu'il avait un moyen de la guérir mais il n'avait pas envie de la priver de son existence ordinaire, d'autant qu'il ignorait comment elle réagirait s'il lui dévoilait son secret et s'il serait seulement capable d'en faire une de ses semblables sans la vider entièrement de son sang...

Ne plus pouvoir se déplacer convenablement alors que l'on avait été habitué à pouvoir marcher et même à courir devait être très frustrant. Fred comprenait que son amie ait le moral dans les chaussettes mais il n'avait malheureusement pas le pouvoir de restaurer ses facultés. Du moins, pas sans la tuer...

- Tu remarcheras un jour, j'en suis persuadé.

Le sourire de la jeune asiatique tardait à réapparaitre sur son visage, ordinairement lumineux, ce qui avait chagriné l'immortel.

- La science fait beaucoup de progrès depuis quelques années. Que ce soit grâce à une prothèse ou à une stimulation d'un nouveau genre, ton problème finira par trouver sa solution. Garde confiance.

Pour lui changer les idées, il s'était emparé de la petite boite qu'il avait apporté avec lui, l'avait ouverte et la lui avait présentée.

- Quelque chose te tente ?

Le chocolat avait la réputation d'avoir un effet bénéfique sur le moral de ceux qui en mangeaient, croquer dans une des pâtisseries ne pourrait donc lui faire que du bien.

Si le jeune homme avait été un peu plus démonstratif et s'il n'avait pas craint de se trahir en agissant de la sorte ( car il n'était pas si courant de rencontrer quelqu'un capable de soutenir plusieurs dizaines de kilos à bout de bras ), il aurait aidé son interlocutrice à se mettre debout et à faire quelques " pas " factices mais dans l'état actuel des choses, il avait préféré s'abstenir. Il lui arrivait de regretter de ne pas s'ouvrir d'avantage aux autres mais son naturel revenait toujours au galop, même quand il s'efforçait de le chasser...

La jeune femme avait semblé apprécier la viennoiserie dans laquelle elle avait choisi de croquer. Fred quant à lui, avait préféré s'abstenir d'en prendre une tant que cela lui serait possible si bien qu'il s'était empressé de reposer la boîte sur la table basse pour faire oublier sa présence à son amie humaine.

Il ne s'était pas attendu à ce qu'elle se mette à lui parler de ses relations amoureuses mais cela ne l'avait pas gêné outre mesure si bien qu'il avait pu lui donner une réponse sincère :

- Non, je n'ai personne.

Réservé de nature, il n'avait jamais collectionné les femmes, même du temps de son vivant. Bien sûr, il lui était déjà arrivé d'être en couple mais il n'avait pas l'impression d'avoir déjà goûté au véritable amour, celui devant lequel tout le monde s'extasiait. Un jour peut-être... Pour l'heure, il avait d'autres préoccupations...

- Et toi ? Ne me dis pas que tu laisses les garçons de ton lycée indifférents !

Alisson était handicapée, certes, mais elle aimait prendre soin d'elle et elle était plutôt jolie. Un garçon intelligent saurait faire abstraction de sa petite particularité et lui ouvrir son cœur un jour ou l'autre, c'était une certitude.

- Au fait : tes parents ne vont pas tiquer s'ils me trouvent ici avec toi ?

Ils ne lui faisaient pas peur, cela aurait été absurde, mais en général, les gens et en particulier les pères n'aimaient pas savoir leur fille adolescente seule en compagnie d'un jeune homme avec un lit à proximité...

Fred avait légèrement froncé les sourcils en entendant son amie lui annoncer qu'elle sortait avec une dénommée Renata Volturi. Pas parce qu'il s'agissait d'une autre fille et qu'il était homophobe, loin de là, mais parce que l'élue de son coeur devait être une immortelle appartenant à la famille royale. Comment diable s'étaient-elles rencontrées ? A ce qu'il avait entendu dire, les Volturi se déplaçaient rarement alors pourquoi l'une d'elle s'était-elle retrouvée à Forks ?!

- Ah oui ? Je suis heureux pour toi.

... mais quelles étaient vraiment les intentions de la buveuse de sang ? Se lier d'amitié avec elle pour en faire son repas ? L'utiliser pour se rapprocher de quelqu'un d'autre ? Il était possible qu'elle se soit réellement éprise de la jeune asiatique mais avec tout le mal qu'il avait entendu sur les sbires d'Aro, Fred avait un doute...

- Cette Renata... elle est Italienne ?

Sa question allait peut-être paraître bizarre mais il voulait en avoir le cœur net. Les parents d'Alisson, qui ne l’inquiétaient déjà pas outre mesure avant qu'ils commencent à évoquer le clan des rois, avaient été complètement relégués au second plan par le jeune homme qui avait rassuré son interlocutrice :

- Bien sûr que non, je ne me permettrais pas. Je n'aurais qu'à me faufiler dehors par la fenêtre s'ils rentrent avant que je sois parti, ça t'évitera d'avoir à expliquer ma présence.

Il s'était légèrement écarté pour la laisser s'installer sur le canapé avant de lui adresser un gentil sourire.

- Ça doit être plus confortable que ta chaise, non ?

Fred ne pouvait pas mettre son amie en garde contre les Volturi sans lui dévoiler son secret. Il avait donc décidé de lui mentir, une fois de plus.

- J'ai eu l'occasion de voyager un peu avant de m'installer à Forks, y compris en Italie. J'ai du y rencontrer un membre de sa famille car son nom me dit quelque chose.

Il s'était interrompu avant d'esquisser un sourire un peu crispé.

- Enfin, ce n'est pas très important. Le principal, c'est que tu sois heureuse avec elle.

Si seulement ce nom n'était pas uniquement porté par des individus censés être morts depuis plusieurs siècles ! Le jeune homme avait laissé son interlocutrice s'installer confortablement sur son canapé avant de jeter un œil au coussin de sa chaise roulante. Il semblait en effet relativement mince, trop pour offrir une assise optimale.

- Tu n'as jamais songé à le rembourrer ? Je pense que ça peut se faire facilement.

Il était disposé à l'aider à le faire si son père n'avait pas de temps à consacrer à cela. Il n'était pas un bricoleur né, loin s'en faut, mais il était néanmoins relativement habile de ses mains.


Il discutait avec la demoiselle depuis quelques minutes quand une odeur nauséabonde qu'il aurait reconnue entre mille était parvenue jusqu'à ses narines.

- Tu attends quelqu'un d'autre ?

Un modificateur rodait visiblement autour de la maison, soit parce qu'il connaissait ses habitants, soit parce qu'il avait suivi sa trace et qu'il souhaitait s'assurer qu'il ne ferait pas de son hôte son repas du soir...